Ouverture Napoléon & Attaque Parham

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Les plus grandes batailles de l’histoire ont eu lieu... sur un plateau de jeu de 64 cases, en effet, l'attaque Napoléon est considérée comme  faible car la dame occupe la meilleure case pour le développement du cavalier ! 
Il est intéressant, par contre,  d'étudier une attaque similaire mais plus puissante : l'attaque Parham 

1-L'Ouverture Napoléon commence par :

1. e4 e5
2. Df3


Nota: Comme dans la très ressemblante attaque Parham (2.Dh5), les blancs espèrent que les noirs vont tomber dans le piège du "coup du berger" (2.Df3 Cc6 3.Fc4 Fc5?? 4.Dxf7#), mais il est facile pour eux de l'éviter.



Evaluation

La "Napoléon" est une ouverture faible, car le développement prématuré de la dame la rend sujette aux attaques, en plus de priver le cavalier-roi des blancs de sa meilleure case de développement.
 En comparaison, l'attaque Parham est plus puissante et contraignante pour les noirs — 2.Dh5 force les noirs à défendre leur pion e (généralement par 2...Cc6), et ensuite, après 3.Fc4, les noirs doivent jouer un coup sous-optimal (3...g6, qui leur impose presque le fianchetto plutôt qu'un positionnement plus agressif de leur fou; 3...De7 qui bloque le fou; ou 3...Df6 qui ôte au cavalier sa case idéale). 2.Df3, en revanche, ne fait aucunement obstacle au développement noir.






La partie "historique": 
Napoléon Ier-Turc mécanique, Château de Schönbrunn, 1809








1. e4 e5 2. Df3 Cc6 3. Fc4 Cf6 4. Ce2 Fc5 5. a3 d6 6. O-O Fg4 7. Dd3 Ch5 8. h3 Fxe2 9. Dxe2 Cf4 10. De1 Cd4 11. Fb3 Cxh3+ 12. Rh2 Dh4 13. g3 Cf3+ 14. Rg2 Cxe1+ 15. Txe1 Dg4 16. d3 Fxf2 17. Th1 Dxg3+ 18. Rf1 Fd4 19. Re2 Dg2+ 20. Rd1 Dxh1+ 21. Rd2 Dg2+ 22. Re1 Cg1 23. Cc3 Fxc3+ 24. bxc3 De2    échec et mat 0-1.


1. e4 e5 2. Qf3 Nc6 3. Bc4 Nf6 4. Ne2 Bc5 5. a3 d6 6. O-O Bg4 7. Qd3 Nh5 8. h3 Bxe2 9. Qxe2 Nf4 10. Qe1 Nd4 11. Bb3 Nxh3+ 12. Kh2 Qh4 13. g3 Nf3+ 14. Kg2 Nxe1+ 15. Rxe1 Qg4 16. d3 Bxf2 17. Rh1 Qxg3+ 18. Kf1 Bd4 19. Ke2 Qg2+ 20. Kd1 Qxh1+ 21. Kd2 Qg2+ 22. Ke1 Ng1 23. Nc3 Bxc3+ 24. bxc3 Qe2





2-L'attaque Parham 

Malgré son apparente amateurisme, cett attaque a déjà été jouée par des grands maitres !(2005 Nakamura)
1. e4 e5
2. Dh5  Cc6
3. Fc4  g6
4. Df3 Cf6
5. Db3 Cd4
6. Fxf7+  Re7
7. Dc4 b5
8. Dd3 Rxf7  

Analyse
1. e4 e5
2. Dh5  (menace le pion e, sur 2... g6?? 3. Dxe5+ suivi de 4. Dxh8)  Cc6   (2... De7 renforce contrôle sur f7 mais gêne développement de l'aile roi et  2... d6  limite  développement fou f8.)
3. Fc4  (menace le mat du berger)  g6 (force le départ de la dame blanche. 3... Cf6?? 4. Dxf7#) 
4. Df3 (menace sur f7) Cf6
5. Db3 (menace sur f7  or 5. Ce2 nécessaire pour empêcher  coup suivant) Cd4 (menace la dame et une fourchette en c2)
6. Fxf7+  Re7 
7. Dc4 b5
8.Dd3 Rxf7  (les noirs ont  une pièce  en plus et sont beaucoup mieux développés)



3-Napoléon et les échecs

  • Napoléon et les échecs : un médiocre joueur d'échecs qui se  rue naïvement sur l'adversaire 
Bonaparte jouait souvent au café de la Régence à Paris avec beaucoup d'impatience et n'aimait pas perdre... Pendant les campagnes militaires (campagne d'Italie, Egypte, Russie) il jouait assez souvent avec ses compagnons militaires. Lors de son exil à Sainte Hélène il continua de jouer.
Ce n'était pas, parait-il, un grand joueur... de plus il trichait !

A Malmaison, Bonaparte invita Mme de Rémusat lors de la soirée du 20 mars 1804 à jouer après le dîner ; mais, dit elle, le jeu du premier consul était fort médiocre. De plus il ne voulait pas se soumettre à la marche normale des pièces. Mme de Rémusat le laissa faire "ce qui lui plaisait".

Bourrienne , un de ses amis indique :  "Bonaparte jouait aussi aux échecs, mais très rarement, et cela parce qu'il n'était que de troisième force et qu'il n'aimait point à être battu à ce jeu (…). Il aimait bien à jouer avec moi parce que, bien qu'un peu plus fort que lui, je ne l'étais pas assez pour le gagner toujours. Dès qu'une partie était à lui, il cessait le jeu pour rester sur ses lauriers"

Maret (chef de cabinet) précise la "stratégie impériale" : "L'Empereur ne commençait pas adroitement une partie d'échecs ; dès le début il perdait souvent pièces et pions, désavantages dont n'osaient profiter ses adversaires. Ce n'était qu'au milieu de la partie que la bonne inspiration arrivait. La mêlée des pièces illuminait son intelligence ; il voyait au-delà de 3 à 4 coups et mettait en oeuvre de belles et savantes combinaisons "

  • Histoire de l'ouverture
L'ouverture Napoléon doit son nom au général et empereur Français Napoléon Bonaparte, un amoureux des échecs, mais c'était un joueur très moyen . On prit l'habitude de la nommer ainsi après qu'un certain nombre de publications du milieu du XIX° siècle ait raconté qu'il avait joué cette ouverture lors d'une partie de 1809 qu'il perdit face au Turc, un automate conduit à ce moment-là par Johann Allgaier.
Le nom peut aussi bien être une référence méprisante à l'impératrice de Napoléon, Joséphine, et à sa scandaleuse infidélité (l'idée impliquée par la sortie prématurée de la dame est que Napoléon était incapable de tenir sa reine).

  • Les 3  parties attribuées à Napoléon   : vrai ou faux ?
Il faut d'abord savoir que ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que la notation des parties, inventée en 1737 sans grand succès, se répandit  de manière usuelle.


    • History of Chess (1913) de HJR Murray constitue un bon point de départ pour présenter les échecs et Napoléon, c'est dans une note de bas de page d'un paragraphe (page 877):

      «Napoléon était un joueur persistant mais très faible. Il existe trois jeux censés être joués par lui. L'un de ceux-ci (une partie écossaise ) aurait été joué à Sainte-Hélène entre Napoléon et Bertrand et aurait été imprimé pour la première fois dans Réminiscences du capitaine Kennedy dans la vie d'Aug Fitzsnob ( Waifs et Strays , 1862), est certainement fictif. Le deuxième match, qui aurait eu lieu avec Mme von Rémusat, le 29 mars 1804, et un troisième ( ILN , 1844, 352), joué contre l’automate à Vienne, ont également une authenticité très douteuse."
    • Dans The Chess Amateur, août 1907, l'historien des échecs WS Branch s'efforçait de résumer l'état des connaissances, à la page 326 :

      "Napoléon Ier n’a jamais été un joueur puissant et n’avait que très peu, voire aucune connaissance théorique ; il a beaucoup joué à Paris, souvent au Café de la Régence - alors qu’il était jeune officier d’artillerie ; mais aussi en exil à Sainte-Hélène. Il existe trois parties connues qui auraient été gagnées par Napoléon. Toutes sont douteuses, surtout une. Pour les deux autres, je ne connais aucune autorité respectable à part feu le capitaine Kennedy, de Bath, qui a déclaré qu'il en avait un d'un officier français qui jouait avec Napoléon. Peut-être ces deux sont authentiques, mais nous ne pouvons pas en être sûrs. Rien n'est paru jusqu'en 1850."

    • Richard Eales, auteur d'une histoire du jeu d'échecs, écrit : "Les parties parfois attribuées à Napoléon Bonaparte sont des faux notoires, copiées inévitablement de Greco, toujours la première source de jeu brillant et spectaculaire"Note : Gioachimo Greco (1619) écrit un traité qui renferme beaucoup de parties brillantes et combinaisons célèbres qui deviennent une référence

  • D'autres indices fiables
    • De plus ces trois parties ressemblent étrangement à des compositions réalisées pour le seul bénéfice de pouvoir présenter une composition de mat brillante. Auteur d'une histoire du jeu d'échecs, Richard Eales indique :  "Les parties parfois attribuées à Napoléon Bonaparte sont des faux notoires, copiées inévitablement de Greco, toujours la première source de jeu brillant et spectaculaire".
    • Les trois parties publiées de l'Empereur ne sont reliées par aucun lien stratégique. Nicolas Giffard (Champion de France d'échecs en 1978, ) confirme l'extrême différence entre la partie de 1809 et celle de 1820 contre le grand-maréchal Bertrand. La première de 1809 démontre un amateurisme total alors que celle de 1820 témoigne d'un niveau échiquéen remarquable.
    •  Les dates où celles-ci auraient été jouées posent question
      • le 20 mars 1804 la partie1 fut jouée à la Malmaison contre Mme de Rémusat, dame d'honneur de Joséphine. Si Napoléon et Mme de Rémusat furent effectivement à la Malmaison, à cette date celui-ci prit-il le temps de jouer aux échecs le jour de l'exécution du duc d'Enghien ?
      • En 1809 eut lieu la  seconde partie eut lieu à Schönbrunn et opposa Napoléon à l'automate de Kempelen (le "Turc" dont la supercherie fut dévoilée en 1834)
      • Napoléon perd après avoir voulu employer la démarche précédente : un assaut ultrarapide sur le roi noir. Malheureusement pour lui, l'automate repousse facilement l'attaque non coordonnée, développe rapidement ses pièces avant de se lancer vers le monarque blanc. L'absence de réelle défense blanche aura tôt fait de détruire les maigres remparts. Napoléon aurait pu capituler au 15e coup, mais préfère poursuivre son supplice en escomptant une erreur adverse. Son jeu manque totalement de coordination et surtout d'un plan cohérent de développement.

      • En 1820, la troisième partie fut jouée lors de l'exil à Sainte-Hélène. De nombreux témoignages indiquent que l'Empereur s'adonnait fréquemment aux échecs. Mauvais joueur, Napoléon triche sans vergogne, tout en protestant de sa bonne foi . Cette dernière partie fut jouée en 1820 contre le grand-maréchal Bertrand . Elle est la plus intéressante des trois répertoriées. La prise de risque est plus limitée, l'ouverture est orthodoxe (ouverture écossaise, l'une des plus utilisées durant la première moitié du XIXe siècle), le développement plus harmonieux. Un coup comme 6) c3 est excellent en ce qu'il traduit une parfaite compréhension du jeu et la nécessité de jouer de simples coups positionnels sans menace directe.


Des trois parties notées de Napoléon, aucune n’est réelle, inventées puis recopiées et commentées à l’envi par des chroniqueurs peu curieux...



  Extrait du tableau de Jehan-Georges Vibert (1840-1902) : « Napoléon et le cardinal Fesch » jouant aux échecs