Le jeu de la dame (série Netflix) et les échecs

 "Le jeu de la dame"  ou "The Queen’s Gambit" : Présentation et Analyse

  • Source  : adapté du roman éponyme de Walter Tevis publié en 1983 et en 1990 chez Albin Michel (328 p - épuisé / indisponible mais  disponible en anglais)
  • Série : Durée  7 x 60min
  • Genre : Drame
  • Par : Scott Frank, Allan Scott
  • Acteurs : Anya Taylor-Joy, Russell Dennis Lewis, Sophie McShera
  • Pays : Etats-Unis
  • Sortie : 23 octobre 2020
  • Chaîne : Netflix en VOD



Synopsis :
En pleine Guerre froide, le parcours de huit à vingt-deux ans d'une jeune orpheline prodige des échecs, Beth Harmon. Tout en luttant contre une addiction, elle va tout mettre en place pour devenir la plus grande joueuse d’échecs du monde.

Résumé : 
Beth Harmon débarque dans un orphelinat du Kentucky après avoir survécu à un accident de voiture où sa mère a trouvé la mort. Elle n’a que huit ans quand elle apprend à jouer aux échecs avec le concierge  bourru mais touchant de son orphelinat catholique, paumé au milieu du Kentucky, et peuplé de fillettes abandonnées. Ce dernier voit très vite en elle un futur prodige. Devenue dépendante aux tranquillisants "des petites pilules vertes" que l’institution donnait aux enfants, elle se sert des médicaments pour visualiser mentalement un échiquier et s’entraîner. En grandissant, elle intègre des tournois et se confronte au monde ultra-compétitif et masculin des échecs de haut niveau, tout en gérant ses addictions et en surmontant les drames qui vont marquer sa vie. Son but ultime : battre le numéro un mondial, le Russe Vasily Borgov.

Amorce :

1967. Beth Harmon (Anya Taylor-Joy) se réveille encore habillée dans la baignoire de la chambre d’un hôtel de luxe parisien après une nuit visiblement mouvementée. Après avoir gobé quelques pilules et remarqué que quelqu'un dort dans son lit, elle se précipite, sous les yeux des clients offensés, vers la salle où elle est attendue par une horde de journalistes. Lorsqu’elle s’installe face à Vasily Borgov , grand maître d’échecs soviétique, elle se retrouve devant celle qu’elle était enfant et la mini-série nous emmène 10 ans plus tôt, alors qu’on la plaçait dans un orphelinat catholique pour filles après la mort de sa mère dans un accident de voiture.



Les raisons du succès : "Le jeu de la dame, la nouvelle série sur les échecs fait un carton sur Netflix

La série sortie sur Netflix fin octobre obtient un très bon accueil, y compris dans le monde des échecs. Pour quelles raisons ?
-Un bon scénario avec une mise en scène originale, bien filmé
-Des acteurs talentueux, en particulier la performance magnétique d'Anya Taylor-Joy
-une retranscription assez juste du monde des échecs de haut niveau : beaucoup de réalisme
- L'atmosphère des années 50' est recréée avec beaucoup de soin

et, étonnamment, des spectateurs à qui les mots "défense sicilienne", "blitz" "roque" ou "gambit" n’évoquent pas grand chose, suivent quand même la série, il faut dire que l'actrice montre par ses expressions et mimiques si la situation lui est favorable ou non, et, s'ajoutent les commentateurs radios qui guident les spectateurs lors des parties. Ainsi chacun comprend ce qui se passe lors d'un tournoi sans rien y connaitre aux échecs. Si on ne comprend pas toujours tout ce qui se passe sur le plateau, ce n'est pas l'important : on s'enflamme devant les victoires qui s'enchaînent pour la petite joueuse d'échecs.
En fait, ce ne sont pas les échecs qui séduisent les spectateurs, mais l’histoire personnelle de l'héroïne, une petite fille qui se retrouve abandonnée dans un orphelinat. Ce sera une histoire bouleversante à laquelle on assiste au cours des sept épisodes, nous montrant son ascension en tant que joueuse d’échecs, son passage à l’âge adulte, son émancipation en tant que femme, mais aussi sa chute dans l’alcool et la drogue.
C'est aussi son aspect féministe qui plait. Beth retoque avec panache les journalistes qui l’interrogent sur sa situation de femme au milieu d’’hommes "Je m'en fiche!". De plus, les femmes qui l’entourent, toutes cabossées par la vie (et par les hommes), de sa mère adoptive à sa camarade d’orphelinat Jolene, se serrent les coudes avec rage.

L'avis des critiques

Cette série  fait l’unanimité parmi les critiques:
Xavier Leherpeur : "Une remarquable série portée par une comédienne qui confine au génie, le carton du moment". 
Ava Cahen (Frenchmania, Le Cercle) :"Le don de l’héroïne pour les échecs est traité comme un super pouvoir, c’est une série qui figure et loue l’intelligence, c’est magnifique ! "
"Le jeu de la dame est un grand mélo à la mise en scène ultra léchée. On voit les pièces apparaître telles des ombres au plafond, les stratégies s’amorcer en trois dimensions. La série donne accès à des zones impalpables de l’esprit.. On est à la fois dans la grande et belle forme hollywoodienne et le traitement est ultra moderne. Rien ici n’est affaire de morale, c’est un dé-tricotage des angoisses et des traumas de cette jeune fille surdouée. La série, à l’instar de son héroïne, échappe à tout formatage. Ce qu’on nous montre ici, c’est la solitude d’une jeune femme que son don popularise autant qu’il la marginalise. C’est un grand récit d’apprentissage et d’acceptation de soi, une série vibrante, un sans-faute absolu".

Benoît Lagane (France Inter, Télématin) :  "Le réalisateur va plus loin qu’une reconstitution, il nous fait vivre l’époque, ce qui est assez rare dans les séries. Les échecs, je n’y connais rien, or même si l’on n’y comprend rien, on est avec l’héroïne. Cela joue sur tous les clichés des échecs (sans en être un) cela nous parle des petits génies, de géopolitique, enfin d’une personne qui va gagner sa place dans le monde. C’est admirable !"

Marjolaine Boutet (Phosphore) : "La seule femme connue, c’est Judit Polgar, une joueuse hongroise grande maîtresse des échecs à 15 ans. On parle peu d’elle, pourtant, elle a battu Karpov, Kasparov et Magnus Carlsen. Cette série pourrait donner envie à des filles de se plonger dans ce monde.
Toutes les parties filmées sont très réalistes, les noms d’ouvertures, les récits sur les échecs, tout est réel. C’est un film sur un sport dominé par les hommes".


Guillemette Odicino dans Grand bien vous fasse.  "Les scénaristes se sont alloués les conseils avisés de Kasparov. Chaque partie d’échecs est filmée comme un film d’action de James Bond.
C’est l’histoire d’une femme hantée par ses démons qui commence par jouer des parties imaginaires avant de se construire une carrière de joueuse professionnelle. Il y a un suspens incroyable, l’actrice crève l’écran, les costumes et les décors feraient pâlir de jalousie les décorateurs de Mad Men. Et puis, c’est un récit d’émancipation féminine, ce qui ne gâte rien".


 Julien Bisson (revue America) : "C'était un véritable défi de filmer un jeu caractérisé par la distance et le silence… Pourtant, la série est formidable. On se prend de passion pour ces pièces qui bougent et ce personnage féminin est incroyable. L’héroïne ne met jamais en avant sa féminité dans son ascension et c'est très bien."





Le réalisme

Il tient avant tout de Walter Tevis l'auteur du roman qui parle admirablement des échecs car c'était un joueur reconnu, passionné par ce jeu qu'il a su décrire avec une précision étourdissante.

Dans la série, les parties avec leur atmosphère spécifique lors des tournois sont  bien restituées : gestuelle,  silence, tension ... En effet les créateurs de la série se sont faits seconder par Garry Kasparov, ancien champion du monde, et Bruce Pandolfini, célèbre coach new yorkais. D'ailleurs la plupart des parties mises en scène sont  inspirées de vraies parties de grands maitres  du  passé : un match en Lettonie en 1955, un match joué à l’Opéra de Paris en 1858 ou la partie jouée à Bienne en Suisse en 1993 qui est reproduite pendant le match final disputé entre Beth et le champion russe Vassily Borgov (Marcin Dorocinski) dans le dernier épisode de la mini-série. 
A noter  que le jeu agressif et passionnant  de Beth Harmon a été basé par l'auteur Walter Tevis sur celui du champion Bobby Fischer, qui,- sacré ironie et beau pied de nez -, était un sacré misogyne face aux joueuses d’échecs de l'époque ! 

Tout au long de la série, Elizabeth visualise le plateau d’échiquier et les pièces afin de savoir quels combinaisons et calculs elle doit utiliser pour gagner sa partie. Cette visualisation mentale est la caractéristique des grands joueurs qui anticipent tout avec moult  calculs et  combinaisons, pour certains jusqu' à 10 coups à l’avance. 

Comment l'actrice s'est préparée à tourner des parties d'échecs réalistes?
 Anya Taylor-Joy, qui incarne Beth, a dû se préparer pour ce rôle. L’actrice a expliqué à Entertainment Weekly qu’elle n’y connaissait rien aux échecs mais qu’elle a appris avec le maître Bruce Pandolfini, celui-là même qui avait relu le roman de Walter Tevis dont est adapté Le jeu de la dame. Cette préparation était importante pour Anya Taylor-Joy même si elle était difficile : "C'était important pour moi de comprendre la théorie. Je ne pouvais pas débarquer en toute conscience et ne pas savoir de quoi je parlais. Mais la réalité du jeu m’a rattrapée, je ne pouvais pas me souvenir de ces séquences sans devenir folle. J'apprenais les matchs cinq minutes avant, j'ai vu ça comme une chorégraphie des doigts".
Le maître Bruce Pandolfini précise qu'"Anya Taylor-Joy est "assez habile dans ce domaine, elle a capté toutes sortes de nuances", tout comme Isla Johnston, qui incarne Beth dans ses plus jeunes années, qu'il qualifie de "prodige". Il a également travaillé en étroite collaboration avec les autres acteurs avant et pendant le tournage pour qu’ils puissent imiter au mieux les maniérismes des professionnels sur des points précis : "la rapidité avec laquelle ils réagissent face à certaines situations, les bonnes hésitations, comment on écrit ses coups sur la feuille, comment on frappe sur la pendule ou comment on regarde son adversaire après certains mouvements".
Toutes les parties que l’on voit à l’écran sont donc bien réelles et travaillées afin qu'elles paraissent les plus naturelles possible. Bruce Pandolfini a créé une Bible pour la série qui recense pas moins de 350 parties. ( source Allo Ciné)


Des erreurs minimes

Dans un article du New York Times, Dylan Loeb McClain, expert des échecs qui a couvert cette discipline pendant huit ans pour le magazine, atteste du réalisme exigeant et impressionnant de la mini-série. Ils ont évité bien des erreurs dans l’écriture et la mise en scène des parties d’échecs telles que la position et le déplacement des pièces.
Si les scènes de parties d’échecs sont crédibles, quelques détails ont sauté aux yeux de Dylan Loeb McClain :

- la vitesse à laquelle les joueurs bougent leurs pièces et terminent leurs parties. Dans un match standard, les joueurs ont deux heures pour jouer quarante coups, comme il est parfaitement indiqué dans la série, mais l’expert pointe du doigt le fait que certaines parties soient terminées en quelques minutes et que les joueurs ne prennent pas assez le temps de réfléchir avant de faire bouger la prochaine pièce. Evidemment, les parties sont plus rapides dans la série qu’en temps normal pour éviter d’ennuyer les spectateurs mais il faut bien noter qu’une réelle partie d’échecs prend plus de temps.

- le bavardage pendant les parties d’échecs. Dans Le jeu de la dame, Beth n’hésite pas à discuter avec ses adversaires très souvent pour les déstabiliser. Pourtant, il est interdit de parler pendant une partie d’échecs lors d’un tournoi. Les joueurs peuvent uniquement s’adresser la parole pour proposer une égalité et ainsi mettre un terme à la partie. Les joutes verbales que se lancent Beth et ses adversaires servent alors dans la série à augmenter la tension dramatique mais aussi accompagner les spectateurs durant la partie.

-Les exagérations
Beth enfant bat tout le monde très et trop vite. Plus tard elle prend des tranquillisants avant ses parties et.. gagne, vraiment ridicule. Aujourd'hui, tous les grands joueurs, comme le français Maxime Vachier Lagrave ont une préparation physique rigoureuse et une excellente hygiène de vie !

-Les clichés

Bien sûr, c'est du cinéma, mais encore une fois, le joueur d'échecs est caricaturé : Beth Harmon a des problèmes avec la drogue et l’alcool mais ne tombe pas dans ... la folie à cause des échecs.


La similarité avec Bobby Fischer

Au travers de la jeunesse de Beth, c'est aussi  la vie de Bobby Fischer qui est évoquée qui apprend  à jouer, seul, à l'âge de  6ans,  et qui devient champion des États-Unis à 14 ans en 1958. En 1972, il devient champion du monde à 29 ans  en remportant, sur fond de guerre froide, le "match du siècle" à Reykjavik face au joueur soviétique Boris Spassky.

  • La similarité se retrouve essentiellement dans :

-Mère : la mère de Bobby  a commencé des études de médecine à Moscou puis dut se réfugier aux USA en 1939.  A la naissance de Bobby, elle est déjà séparée de son mari, élève seule ses enfants, change souvent de résidence. La mère de Beth est une mathématicienne séparée de son mari, elle élève seule sa fille  tout en  souffrant  de problèmes psychologiques. Toutes deux ont des problèmes d'argent.

-Père : pour tous les deux,  l'absence du père biologique est lourde de conséquences d'autant qu'il existe une incertitude sur le vrai géniteur.

-Découverte des échecs : le hasard uniquement. En 1949, la mère de Bobby, Joan, pour distraire son petit frère, lui achète un Monopoly, un jacquet, et un jeu d’échecs au bazar du coin. Les deux enfants apprennent  seuls les règles à l’aide de la notice puis approfondissent par la lecture  d’un livre contenant des parties d’échecs. Beth surprend  William Shaibe, l'agent d'entretien, plongé sur un jeu d'échecs dans son miteux sous-sol et, déjà, par simple observation, comprend le déplacement des pièces. Ensuite tout ira très vite ! 

-Entraîneur : Les entraîneurs sont avant tout des passionnés. Pour Beth, William Shaibel, agent d’entretien de l’orphelinat de Methuen lui enseigne les échecs, lui fait  rencontrer d’autres joueurs, et l'aide financièrement pour s'inscrire à son premier tournoi Après sa mort, Beth découvrira  son mur couvert de coupures de presse, ce qui l'attendrira avec une grande charge émotionnelle. Carmine Nigro,  musicien de profession, fut le premier professeur et entraîneur de Bobby Fischer de 1951 à 1955 ; il ne faisait pas payer à la mère de Bobby Fischer les leçons de musique ou d'échecs qu'il donnait à son fils. Fischer disait que Nigro n'était peut-être pas le meilleur joueur du monde mais qu'il était un très bon professeur qui fut un facteur décisif dans ses progrès.

-Dates: Beth Harmon remporte le tournoi des États-Unis en 1967, soit l’année où Bobby Fischer gagne son 8e et dernier titre national.

-Style de jeu :  l’héroïne de la série affiche un jeu très agressif face à ses adversaires, avec une tendance à attaquer rapidement sur l’échiquier, exactement comme Bobby Fischer. 

-Apprentissage du russe : Fischer avait également entrepris d’apprendre le Russe, comme l'héroïne dans la série, afin de pouvoir lire les publications locales et les journaux dédiés aux échecs en URSS.

-Intelligence : tous deux sont considérés comme surdoués ayant une intelligence supérieure à la moyenne. Fischer étudia à la Woodward Community School, où il fut accepté grâce à son QI élevé de 180. Toutefois, tus les deux arrêtent tôt leurs études pour se consacrer exclusivement aux échecs. En mars 1959, dès qu'il eut seize ans, Fischer quitta l'école secondaire. Beth abandonne aussi progressivement le secondaire.

-Comportement:  il ont, tous deux, des difficultés à gérer les interactions sociales et relationnelles,  d'ailleurs, ils se retrouvent  souvent seuls. Par ailleurs, ils  ont un goût immodéré pour les beaux vêtements, avec des costumes et des chaussures sur-mesure pour Fischer et pour Beth un style vestimentaire sophistiqué basé sur le noir et blanc, les carreaux avec des modèles de P Cardin, A Courrèges. Dans sa dernière tenue toute blanche, elle s'affiche comme la reine des échecs!

-Lecture : Tous deux sont de gros lecteurs d'ouvrages échiquéensls lisent depuis leur plus jeune âge tous les ouvrages et revues concernant les échecs. Fischer avait une bibliothèque de 80 livres d'échecs dont plus de la moitié en russe. Le livre "Modern Chess Openings" que Beth reçoit de son mentor dans le premier épisode et le "Chess Review Magazine", dont Beth Harmon fait la couverture sont des ouvrages réels

-Problèmes d'argent : durant leur jeunesse, ils ont tous  deux,  comme leur mère,  des problèmes financiers. Plus tard, Bobby Fischer fut  un des premiers joueurs à exprimer ouvertement ses exigences concernant sa rémunération en tant que professionnel, ce qui a été déterminant dans l’évolution du statut des joueurs d’échecs par la suite. Beth volera sa première revue échiquéenne et aura toujours des difficultés à financer ses déplacements y compris pour son séjour à Moscou.

  • Les différences...
-Addictions : Beth devient addicte aux médicaments suite à la prise de Librium, un anxiolytique distribué quotidiennement aux jeunes filles de l'orphelinat pour les maintenir tranquilles. C’est ainsi qu’elle visionne les parties d’échecs qui apparaissent au plafond. Est -ce en développant une dépendance à ce médicament qu' elle devient une prodige des échecs ?
Plus tard, avec la solitude, elle y ajoutera l'alcool et désormais elle est confrontée à un cercle vicieux de dépendance. Même si ses amis joueurs (Benny Watts, Harry Beltik, D. L. Townes) sont là pour lui faire remonter la pente, elle va rechuter, mais ce sera pour mieux se relever. La fin nous montre que Beh n'a plus besoin de se noyer dans l'alcool et les médicaments, ni d'éloigner tous ceux qui tentent de lui donner un peu d'affection. Désormais libérée de ses démons, la championne est devenue une autre femme.
Walter Trevis, lui même, souffrait d'une dépendance à l'alcool et a connu aussi l'addiction aux médicaments "Quand j'étais jeune, on m'a diagnostiqué un rhumatisme cardiaque et on m'a donné beaucoup de médicaments à l'hôpital."
Il publie d'abord sept romans noirs ou de  science-fiction. Ensuite, il travaille comme professeur de littérature à l’université d’Ohio et sombre dans l’alcoolisme. Il ne revient à l’écriture qu’en 1980. il concède :" Écrire, cela a été cathartique"

-Sport : A l'opposé Bobby est un grand sportif, préoccupé de sa santé. Fischer pratique régulièrement de nombreux sports : gymnastique matinale devant son téléviseur, puis natation (45 min par jour), tennis, bowling, haltères...il ne faut pas oublier qu'une partie d'échecs de championnat peut durer plusieurs heures et que la concentration  est si intense, que  tous les joueurs  en ressortent épuisés. En fait le conditionnement physique est essentiel et Bobby a été un pionnier  dans ce domaine. Aujourd'hui tous les champions ont une hygiène sportive de très haut niveau.
D'ailleurs, nous avions publié un  article sur le thème : les échecs font-ils perdre des calories?





  • Le choix d'une joueuse d'échecs : un pied de nez  à Bobby Fischer et à Kasparov... !
 Walter Tevis, l'auteur du roman, lui même joueur d'échecs, a choisi de raconter cette histoire du point de vue d’une femme. 
Sûrement parce que Bobby Fischer était ouvertement critique à l’encontre des femmes, et encore plus vis-à-vis de celles jouant aux échecs, affirmant qu’"elles étaient moins intelligentes que les hommes".  Profondément machiste, il avait même  décrété qu'"aucune femme ne pourrait jamais le vaincre à ce jeu…" Ce qui a sans doute donné des idées de revanches à Walter Tevis ?

Walter Tevis, qui est mort un an seulement après la publication de son livre, avait affirmé que The Queen’s Gambit était "un tribut aux femmes intelligentes. J’aime Beth pour sa bravoure et son intelligence. Dans le passé, beaucoup de femmes ont été obligées de cacher leur intelligence, mais plus maintenant".


La misogynie aux échecs (extrait de notre article consacré aux "Femmes et les échecs"
De grands champions, ne se sont pas gênés pour afficher une misogynie souvent grinçante. Quelques déclarations célèbres :

Bobby Fischer « Les femmes sont stupides comparées aux hommes. Elles ne devraient même pas jouer aux échecs ! Elles ont un niveau de débutant et perdront n’importe quelle partie contre un homme, aussi simple et élémentaire soit-elle. Il n’y a pas une femme au monde à qui je ne puisse donner l’avantage d’un cavalier et gagner malgré tout ».
et il indique «Je n'ai jamais joué une femme dans un match de tournoi».

Interview  de Bobby Fischer sur les femmes (en anglais)



Kasparov : En  1989 il déclare :  "les femmes ne sont pas adaptées au jeu d'échecs... De plus, les échecs ont également un aspect créatif, ce sont à la fois un sport, un art et une science, autant de domaines où l'avantage de l'homme est évident. C'est également ce qui se passe en littérature, en musique et dans l'art..." 
Mais aussi:
« Il m’est arrivé plusieurs fois de dire qu’il existait deux sortes d’échecs: les vrais échecs et les échecs pour femmes. Désolé ! Une femme ne peut rien faire contre la détermination d’un homme. C’est une simple question de logique. C’est la logique d’un combattant professionnel et les femmes  ne sont pas de bons combattants (…). Les échecs sont un mélange de sport d’art et de science. Or, on peut constater la supériorité des hommes dans tous ces domaines. L’explication réside sans doute dans les gènes »

Garry Kasparov, qui fut battu par Judit Polgar en 2002 justifiait la victoire de Judit par la phrase machiste "parce qu'elle joue aux échecs comme un homme". Déjà en 2001, au tournoi d'échecs majeur de Linares en double ronde avec Kasparov, Karpov, Shirov, Grischuk and Lékó, Judit Polgár avait déjà annulé dans ses deux parties contre Kasparov. En 2002, elle le battra dans le match Russie contre le reste du monde. Ce gain contribua à la victoire finale du Monde sur le score de 52 à 48, et fut historique : pour la première fois dans l'Histoire des échecs une femme battait le numéro 1 mondial en compétition.


Depuis, Garry Kasparov a fait amende honorable en soutenant des manifestations en faveur des échecs et des enfants aux côtés de Judith Polgar.

Nigel Short,
 l’un des plus grands joueurs britanniques d’échecs, affirme « Les hommes et les femmes sont programmés de façon très différente ».
 Selon lui, les femmes seraient intrinsèquement plus mauvaises que les hommes dans certaines activités, notamment dans la pratique des échecs. « Ce serait merveilleux de voir davantage de femmes jouer aux échecs, mais plutôt que de se tracasser au sujet de cette inégalité, peut-être devrions-nous simplement prendre acte de cette situation. Car les hommes et les femmes sont programmés de façon très différente. Je m’accommode parfaitement du fait que ma femme possède une plus grande intelligence émotionnelle que moi. Tandis qu’elle n’est pas gênée de me demander de sortir la voiture du garage », a-t-il déclaré lors d’une interview pour le quotidien britannique The Telegraph. Immédiatement, cette réflexion sexiste et misogyne a provoqué un tollé sur la Toile.

Ces propos assénés comme des certitudes ont amené un observateur du monde des échecs à ce constat: «La joueuse d’échecs est un animal de foire. On l’apprécie davantage pour ses charmes que pour l’intelligence de ses coups. On lui reproche d’appartenir à une minorité qui préfère les cours de danse aux folles nuits passées à pousser du bois sur un échiquier en compagnie d’une pendule schizophrène ».

  • les autres similarités et influences
    • les championnes d'échecs du passé ?
      Dans les années 60 ( guerre froide) la présence de femmes en compétition était rarissime, le jeu de haut niveau était largement à dominante masculine.
      Pour trouver des "pionnières", il faut chercher au début du XX° avec, par exemple,  Maria Teresa Mora Iturralde, joueuse cubaine âgée de 20 ans en 1922, qui remporta  la coupe Dewar du club de La Havane, considérée comme le championnat (mixte) de Cuba (il n'y avait pas à l'époque de championnat féminin de Cuba), et , donc, qui avait vaincu tous ses adversaires masculins et obtenu le titre de "championne d'échecs de Cuba". Elle représenta Cuba lors des championnats du monde féminins de 1939 à Buenos Aires et finit 7° sur 20. Elle reçut le titre de maître international féminin lorsque le titre fut créé en 1950 et d'Amérique Latine. La légende veut qu'elle ait été la seule femme à avoir battu José Raúl Capablanca, considéré comme l'un des plus importants grands maîtres de l'histoire des échecs et qui fut mentor ; il  a évoqué son apprentie dans l'un de ses ouvrages, en la décrivant comme "probablement la joueuse la plus forte du monde". Toutefois ses résultats  ne le montrent pas. Compléments

      Plus tard en  1978 pour la première fois une femme décroche le titre de Grand maître international : Nona Gaprindashvili en 1978 puis Maia Tchibourdanidzé en 1984  (en tant que championnes du monde). C 'est véritablement la Hongroise Judit Polgar (GMI) qui parviendra à s'imposer dans le top 10 Mondial dans les années 1980.(lire ci-dessous)

      Aussi le  personnage de Beth Harmon créé par le romancier en1983 est bien fictif  tant la présence des femmes en compétition relevait à cette époque de l'exception dans le milieu des échecs. En 1983, aucune  joueuse  ne se situe dans les 50 premières places du classement mondial. Aujourd'hui, seules 37 femmes figurent parmi les quelque 1 700 grands maîtres reconnus dans le monde entier, et une seule d'entre elles s'est frayé une place dans le top 100 des meilleurs joueurs de la planète, Hou Yifan (89e).

       La championne de Cuba, Maria Teresa Mora Iturralde  / Beth Harmon de The Queens Gambit 
          • Judith Polgar
            Il faudra attendre la fin des années 1980 pour voir arriver une femme dans les tournois internationaux : Judit Polgar. Le roman éponyme de Walter Tevis étant publié en 1983, c'est uniquement dans la série que l'on pourra éventuellement  trouver des points communs ! Son parcours est original, en effet, son père, psychanalyste, l’initie aux échecs, comme ses deux sœurs, à trois ans uniquement pour prouver que le génie n’est pas inné mais acquis. Judith enfant se passionne et excelle. À huit ans, elle est championne du monde mixte des moins de 12 ans. À 15 ans et 5 mois, elle bat le record de précocité de Bobby Fischer en devenant plus jeune grand maître international de l’histoire, désormais, elle ne joue plus que contre des hommes. C'est la seule femme qui entre dans le Top 10 mondial et bat, en 2002, le numéro 1, Garry Kasparov.
            Et, c'est une femme  équilibrée dont le parcours étonnant  demeure assez classique comme pour la plupart des grands joueurs. Rien à voir avec l'héroïne de la série.

            Alors existe-t-il des points communs ? très peu hormis une légère ressemblance physique avec  les cheveux roux flamboyants, et et un même style de jeu assez agressif.

             

            Que pense Judit Polgar de l'attitudes des "hommes" joueurs d'échecs  dans la série ?  Dans une interview au New York Times, elle estime qu'ils "étaient trop aimables", comparé à la réalité des compétitions, et qu'au gré de ses victoires, il n'avait pas été rare d'"entendre des commentaires et parfois des plaisanteries mettant en cause [sa] capacité [à jouer], censés être drôles, mais finalement blessant". Pas un seul de ses adversaires n'a d'ailleurs une seule fois abandonné la partie, en se fendant d'un baise-main. "Certains refusaient de me serrer la main", se souvient-elle au contraire, "l'un d'entre eux s'est même frappé la tête contre l'échiquier à l'issue de sa défaite".
            Dans "Le Jeu De la Dame", le soutien des joueurs vaincus par Beth, qui finissent par former une véritable équipe pour l'accompagner dans son ascension, reste trop beau pour être vrai, selon Judit Polgar.
            Elle conclut: : "La série, c’est bien, mais ça ne suffira pas. Il faut faire entrer les échecs dans les écoles, ils donnent des outils pour la vie : la logique, la résilience, savoir trancher, accepter une défaite, maîtriser l’euphorie d’une victoire. Ça rend plus fort."


            • Sapsski pour le joueur russe  Vasily Borgov
              Dans la série, c'est un joueur d’échecs soviétique, champion du monde depuis une date antérieure au début de la carrière de Beth Harmon,  mais dans le livre  il est beaucoup plus jeune (38ans).  C'est un joueur concentré et inexpressif, de l'école classique des échecs russes, très fort en finale comme Mikhaïl Botvinnik (1911-1995),  plusieurs fois champion du monde de 1948 à 1957, de 1958 à 1960 et de 1961 à 1963. D'ailleurs Beth indique "Il y a un joueur qui me fait peur. Le Russe Borgov" .

              Toutefois, la ressemblance la plus frappante est avec Boris Spasski, 10e champion du monde d'échecs, spécialiste des  fins de partie, et de la défense sicilienne (comme Borgov).

              De plus Spasski est célèbre pour sa confrontation avec  Bobby Fischer en 1972, " match du siècle" entre l'URSS et les États-Unis,  remporté par Fischer  avec quatre points d'avance : 12,5 à 8,5, mettant fin à 24 ans de domination soviétique. 
              A noter que lorsque Fischer gagne, Spasski se joint aux applaudissements du public, tout comme Borgov dans son duel final avec Beth Harmon.


          • Bilan
          Toutes ces similarités nous éclairent sur les sources profondes du roman puis de la série.
          Mais "Le Jeu de la Dame" est un pur récit fictif. L’auteur Walter Tevis s’est inspiré de sa propre expérience dans le monde des championnats d’échec et de ses problèmes avec la drogue pour écrire l’histoire de Beth Harmon. Toutefois les coïncidences avec la vie de Bobby Fischer sont troublantes et laissent à penser que que W Tevis connaissait parfaitement la carrière de Fischer dont il s'est inspiré avec liberté.

          L'originalité

          C’est... une joueuse, ce qui est rare dans le monde des échecs et...au cinéma, comme nous l'avons montré ci-dessus.  Il lui faut donc lutter contre les préjugés tenaces supposant que les femmes seraient naturellement moins douées que les hommes pour la logique des échecs. Quoi de mieux, pour les détromper, que de battre tous les champions un par un ? 
          En ce sens, cette série prend le monde des échecs à contre sens et c'est un énorme succès ! Rappelons qu'aujourd'hui, dans un tournoi open, on ne trouve encore que 5% de femmes" et que  la Fédération française d’échecs  ne compte que 22% de licenciées féminines. Il existe même des championnats du monde pour les hommes et pour les femmes. Pourtant quelques femmes ont égalé de nombreux hommes comme la Hongroise Judit Polgár  qui a joué dans le top 10 mondial mixte. La joueuse française Marie Sebag est grand maître international féminin et grand maître international.

          Lire notre article  (avec diaporama) consacré aux "Femmes et les échecs" qui montre  qu' au Moyen-âge, les femmes pratiquaient les échecs autant que les hommes. En fait, les gens des deux sexes appréciaient la liberté des rapports que permettait ce jeu. Il était même autorisé de rendre visite à une dame dans sa chambre pour y pousser du bois...




          Conclusion : Les conséquences inattendues sur les échecs

          • Un espoir
          On ne sait pas encore si, enfin, les femmes vont s'inscrire en masse dans les clubs après avoir vu cette série  :  cela  pourrait révolutionner  les pratiques misogynes des championnats d'échecs. Il faut le souhaiter et espérer voir enfin une seule et unique catégorie d'échecs mixte  à tous les niveaux. D'ailleurs nous n'avons pas vu,  de réactions des fédérations d'échecs face à cette série qui montre la supériorité d'une femme... mais il est vrai que les fédérations sont dirigées par des hommes.
          Toutefois, il faut signaler que le FFE (Fédération Française Echecs)   fait de gros efforts pour intégrer les femmes avec un plan de féminisation mis en place en  2019 (avant la série ! ) ce qu'il faut saluer:
          "La féminisation du sport échecs est une mission prioritaire de la FFE, nous nous engageons à favoriser l'accès des filles et des femmes à toutes les formes de pratiques du jeu d'échecs, à lever les obstacles qui entravent leurs engagements dans le haut niveau et à leur permettre une meilleure représentation dans les instances dirigeantes et encadrantes."

          Téléchargez le plan de féminisation au format PDF.


          • Une réalité
          D'après le Figaro,  la série donne furieusement envie de se mettre autour d'une table pour engager une longue partie. Depuis la sortie de la série, certains vendeurs de jeux ont doublé leurs ventes de jeux d'échecs, déjà bien dopées cette année par les confinements et les couvre-feux. «Nous avons doublé nos ventes en ligne de jeux d'échecs depuis le 23 octobre, date de sortie de la série Netflix, par rapport à la même période l'an dernier, explique en effet Franck Mathais, le porte-parole du groupe Jouéclub. C'est une catégorie de jeux qui a connu un essor phénoménal dans les années 90 avec l'ascension des grands maîtres comme Garry Kasparov et du superordinateur Deep blue. Depuis quelques années, les échecs étaient devenus une catégorie beaucoup plus confidentielle.»

          "Aujourd'hui en France" du 15/11/2020
           
          JDD 28/11/2020



          Compléments : les parties d'échecs dans la série
          Dans le journal en ligne "La Libre" Luc Winants, Grand Maître International indiquent les positions et parties qui apparaissent à l’écran, tout au long des sept épisodes de la série Netflix qui ont été préparées par des spécialistes.

          Compléments  : Jouer contre ...Beth !
          Sur le site  chess.com,  vous pouvez  jouer aux échecs contre Beth Harmon, une idée astucieuse de créer plusieurs bots personnalisés de la joueuse, à différents moments de sa vie. On peut donc jouer gratuitement face à une Beth âgée de 8 ans, 9 ans, 10 ans, 15 ans, 17 ans, 20 ans et 22 ans. Plus vous jouez contre une Beth âgée, plus son niveau de jeu est difficile.




          Compléments audio sur France Inter

          🎧 - La chronique d'Agnès Hurstel du lundi 23 novembre 2020
          🎧 - Une heure en série du samedi 21 novembre 2020
          🎧 - Grand bien vous fasse du vendredi 20 novembre 2020
          🎧 - La Marche de l’Histoire : L’histoire des échecs
          🎧 - L’Œil du Tigre Les échecs, un sport
          🎧 - Extraits du Joueur d'échecs de Zweig lu par Guillaume Gallienne et Zabou Breitman.



          Revue de presse
          Les Inrockuptibles : "Après Le Jeu de la Dame, les échecs au cinéma en 10 scènes
          Atlantico : "La série qui fait exploser le nombre de nouveaux joueurs d'échecs"
          Konbini : "On a décrypté Le Jeu de la Dame avec une championne d'échecs"
          Vanity Fair : "La série Netflix Le Jeu de la Dame passée au crible par une véritable championne d'échecs"
          Huffington Post : Le jeu de la dame sur Netflix: un pro des échecs nous donne son avis
          France Info : "Le jeu de la dame, la nouvelle série sur les échecs qui fait un carton sur Netflix"
          Les Inrockuptibles : sexisme, Guerre froide... Ce que “Le jeu de la dame” dit du monde des échecs
          Le Figaro : "Le confinement et une série Netflix relancent les ventes de jeux d'échecs"
          Le Parisien : "Confinement : fan du «Jeu de la dame»? C'est le moment de vous mettre aux échecs"
          Le Monde : "Netflix : Le Jeu de la dame, la jeune fille et la mort (du roi)"
          France Culture : "Séries. Fargo et Le Jeu de la Dame, rois et reine"
          Var Matin : "Comment les échecs sont devenus tendance..."
          Madame Figaro : "On a vu la série NetFlix Le jeu de la Dame avec Marie Sebag, Grand Maître International d'échecs"
          Le Journal du Dimanche : "Netflix et le confinement dopent les ventes de jeux d'échecs"
          Le Courrier Picard : La série Netflix Le jeu de la Dame, un coup de Grand Maître pour les joueurs
          Le Point : "Le Jeu de la dame : la nouvelle pièce maîtresse de l'échiquier Netflix"
          BFMTV : "Le jeu de la Dame: la mini-série à succès décroche un record sur NETFLIX"
          BFMTV, Chronique de Lorène de Sustielle (émission du 2/11) : "Confinement saison 2 : On regarde quoi ? - 02/11"
          https://en.chessbase.com/post/jonathan-rowson-on-the-queen-s-gambit


          Quelques vidéos







          Sources essentielles et compléments